Nouveau sujet à la mode, le microbiote est l’ensemble des micro-organismes qui nous habitent. Les chercheurs travaillant sur le campus de l’Institut Pasteur de Lille commencent à mieux le comprendre grâce aux progrès sur l’analyse de l’ADN. Ils nous ont ouvert leurs portes le temps d’une matinée.
Il trône fièrement à plus de deux mètres de hauteur. Moustache parfaitement taillée, mèche plaquée sur la droite, comme façonnée par la brise automnale lilloise. Le buste de Louis Pasteur veille sur son œuvre : l’établissement qu’il a créé en 1894 pour produire un sérum contre la diphtérie qui ravage alors le nord de la France. Son effigie de marbre blanc se détache sur le fond rouge des briques du bâtiment Albert Calmette, du nom du premier directeur de l’Institut Pasteur de Lille.

Vendredi 28 octobre, 9h15. Nous avons rendez-vous au Centre d’Infection et d’Immunité de Lille (CIIL). Tuberculose, peste, paludisme… Les sujets étudiés ici n’ont rien d’amical. Pourtant, notre présence est liée à un sujet qui suscite un réel engouement depuis quelques années : le microbiote. Ce mélange est composé de milliards de levures, bactéries et virus : des micro-organismes dix fois plus nombreux dans notre corps que nos propres cellules. La part qui habite notre intestin, autrefois appelée “flore intestinale”, aide à assimiler les aliments et à renforcer nos défenses immunitaires.
« On a des bactéries qui favorisent l’obésité. »
« Je me lave les mains peut-être plus souvent que les autres. » Cheveux poivre et sel et chemise bleue rentrée dans le pantalon, Mathias Chamaillard, 43 ans, est directeur de recherche Inserm d’une équipe d’une douzaine de personnes au sein du CIIL. Généticien de formation et spécialiste de la maladie de Crohn, il a contribué en 2001 à la découverte du principal gène de prédisposition de cette maladie inflammatoire du système digestif. Cela fait maintenant une dizaine d’années qu’il s’intéresse au microbiote. Il s’installe devant son pupitre pour nous présenter son diaporama intitulé “Les flores du mal”. « On ne connaît pas d’organisme vivant qui n’ait pas de microbiote », explique-t-il avant d’ajouter que ce dernier nous « vient essentiellement de notre maman ». Influencé par le type d’accouchement et le mode d’alimentation du nourrisson, le microbiote varie plus tard avec le régime alimentaire. « On a des bactéries qui favorisent l’obésité. » De quoi améliorer notre compréhension d’une pathologie d’actualité. En effet, une étude publiée le 25 octobre dans le Bulletin épidémiologique hebdomadaire vient de révéler que « l’excès de poids concerne près de la moitié de la population en France. »
Labo sous haute protection
Le bâtiment où nous nous trouvons abrite une multitude de laboratoires. Le dédale de couloirs est parsemé de douches de sécurité jaunes et de portes grisâtres donnant sur des sas. Lavabo, blouses blanches : c’est ici que se préparent les laborantins avant de pénétrer dans leur espace de travail. Les panneaux placardés à l’entrée affichent des noms barbares pour les profanes : plateforme de cytométrie en flux, laboratoire de sécurité N2B2 humain… Des appareils mesurent la différence de pression entre l’intérieur et l’extérieur de la pièce. « On ne peut pas entrer, ce sont des espaces confinés », nous explique Mathias Chamaillard. En s’approchant des hublots, on aperçoit tout de même quelques instruments. « L’enceinte avec les espèces de gants sur les parois que vous voyez là permet de manipuler en conditions anaérobies. » Comprendre : dans un environnement sans oxygène.
Un sujet star
Les découvertes récentes sur les propriétés du microbiote suscitent beaucoup d’intérêt. En témoignent les nombreux ouvrages publiés sur le sujet, comme Le Charme discret de l’intestin, de Giulia Enders. « Le grand public comprend mieux maintenant », estime Mathias Chamaillard. Et qui dit sujet à la mode dit facilités pour obtenir des financements : « Depuis deux ans, il y a une commission “microbiote” à l’Agence nationale de la recherche. Et il y a maintenant des appels d’offres ». Le développement des connaissances sur le sujet est dû « aux progrès technologiques effectués ces dernières années », et en particulier au séquençage de l’ADN.
Direction le bâtiment Camille-Guérin, du nom du vétérinaire partenaire d’Albert Calmette dans la découverte du vaccin BCG (Bacille de Calmette et Guérin) contre la tuberculose. L’odeur provenant d’une bouche de ventilation évoque – aux initiés – la présence d’une animalerie. L’entreprise Genoscreen se niche au sommet de trois étages interminables.
Des partenariats pour la science

Petite brune aux cheveux ondulés, lunettes sur le nez, Stéphanie Ferreira a l’habitude de recevoir des journalistes. Docteure en biologie cellulaire et moléculaire, elle est à l’aise pour nous parler de ses activités de responsable Recherche et Développement en génomique. Nous nous entassons dans la minuscule salle de pause. Depuis 2001, l’entreprise privée mène ses propres projets, et d’autres en partenariat avec l’Institut Pasteur de Lille, le CNRS, l’Inserm et l’Inra. « Nos machines d’analyse ADN ont fait un bond en avant il y a huit ans. On a changé de braquet. » Cela a rendu possible l’analyse de mélanges de bactéries comme le microbiote. L’étage du dessous ne se visite pas : c’est l’endroit où a lieu l’extraction de l’ADN, une technique très sensible aux contaminations. Au premier se trouvent la direction ainsi que les services administratif et commercial qui représentent un tiers des effectifs.
« À notre étage, on fait le séquençage de l’ADN. » La visite s’effectue en traversant plusieurs laboratoires successifs aux murs verts et jaunes où trois laborantines s’activent devant leur paillasse. La température chute brutalement dans la dernière pièce où nous pénétrons. La climatisation a été boostée pour les machines et « cette tour qui fait beaucoup de bruit, c’est le serveur. C’est ici que sont stockées et analysées les données. »
Mathias Chamaillard explique que les besoins nutritionnels des bactéries restaient jusqu’à récemment mal connus, d’où l’impossibilité de les cultiver. Grâce aux travaux menés dans les laboratoires, « on commence à comprendre leurs gènes. Cela va permettre d’apprendre leurs besoins. » Même si les résultats de ses recherches montrent le rôle déterminant de l’alimentation sur la composition du microbiote, le chercheur admet ne pas avoir changé son mode de vie. « On n’est jamais prophète dans son pays, conclut-il avec un petit sourire, sinon je serais un peu plus maigre ! »
Xavier Boivinet
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