Ce ne sont pas des boules de cristal pour observer l’avenir, mais des cubes de plastique pour scruter le passé.
Dans le bureau de la géologue Viviane Bout-Roumazeilles, ils sont des centaines de dés transparents, consciencieusement rangés et étiquetés dans des caisses. Leur contenu : des sédiments marins, de la boue très fine prélevée au fond des océans.
« Nous étudions les minéraux présents, des grains de sable minuscules, de quelques microns (dans le jargon de la sédimentologie, on parle de silts et d’argiles). Ils résultent de l’érosion des roches continentales : les rivières et le vent les ont apportés jusqu’à l’océan. Les courants marins les ont ensuite transportés, parfois sur de très longues distances, avant qu’ils ne se déposent par gravité sur le fond océanique. Retracer le parcours de ces sédiments nous renseigne sur les courants qui les ont entraînés, leur localisation, leur direction, leur force », développe Viviane.
Grains de sable bavards
Avec son collègue Aloys Bory, ils étudient la composition minéralogique et chimique de ces particules, révélatrice de leur origine géographique, et leur taille : plus les grains sont gros, plus la force du courant était grande pour les déplacer. Les deux géologues travaillent en particulier sur l’océan Austral (au pôle Sud) et le courant marin qui le délimite, le courant circumpolaire Antarctique. C’est une zone d’échanges intenses entre les eaux de surface et les eaux profondes des océans : le courant, large de 2000 km et profond de 2 km, brasse 125 millions de mètres cube d’eau par seconde.
Ce courant et cet océan, très vaste et difficile d’accès, restent encore mal connus. Leur étude est aujourd’hui capitale. En effet, pour les climatologues, les variations de CO2 dans l’atmosphère au cours des dernières centaines de milliers d’années s’expliquent principalement par des changements dans l’océan Austral. « Il a piégé de grandes quantités de CO2 dans ses eaux profondes au cours de la dernière glaciation, laquelle a atteint son paroxysme il y a 20000 ans environ. Il en a restitué une partie à l’atmosphère lors de la dernière déglaciation il y a 15000 ans environ, contribuant à la transition vers le climat actuel, interglaciaire », détaille Aloys. Récemment, l’océan Austral semble avoir emprisonné une part du CO2 émis par les activités humaines, mais la tendance pourrait s’inverser en raison du réchauffement des océans, susceptible de modifier le courant circumpolaire Antarctique.
Test pour modèle climatique
« Avant d’utiliser les modèles climatiques pour simuler de futurs scénarios, il faut vérifier qu’ils fonctionnent avec des événements passés. Notre travail consiste à fournir les données historiques du courant circumpolaire Antarctique sur les dernières dizaines de milliers d’années à ceux qui créent les modèles », complète la géologue. Finalement, ces cubes sont comme des boules de cristal : étudier le comportement passé du courant circumpolaire Antarctique permettra de mieux connaître le futur climat de notre planète.
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